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Souvenirs inventés d’une fillette

Il y a deux ans, j’ai participé à un « concours » pour une revue (qui n’existe plus, paix à son âme) de Saint-Lambert. Il n’y avait pas de thème mais à l’époque, j’avais manqué de courage pour tenter ma chance pour le concours de littérature de mon cégep. Le thême était alors « sur la route. » J’avais donc gardé l’idée de l’auto et j’ai pondu un micro texte. Je me retiens de le modifier car j’adore un petit peu trop écrire de longues phrases, ce qui ne semble pas être arrivé dans ce texte. Donc je publie quand même ce texte qui n’a eu aucune chance (il n’y a jamais eu de gagnant.)

Avertissement : toute ressemblance avec des personnes ou des lieux réels … est voulue. La seule chose inventée est… ce souvenir. Un souvenir créé de toute pièce car je me demandais à quoi pouvais bien ressembler un au revoir. Encore maintenant je l’aime bien, ce petit texte écrit à la hâte. Sur ce, lisez si le coeur vous en dit.

‘’Hey, réveille-toi et suis-moi. Et ne fais pas de bruit.’’

Je me lève sans savoir où on va et pourquoi je dois me lever. Je n’ai que le temps d’apercevoir par la fenêtre sa vielle auto grise. Elle grince et toussote lorsqu’on roule. Elle referme doucement la porte de la maison derrière moi et je réalise comme cette situation est incongrue. La nuit vient tout juste de quitter le ciel et la brume semble avoir donnée congé au soleil. Le contact froid et collant de l’air chargé d’eau me donne encore plus envie d’aller me recoucher, mais elle me demande d’embarquer dans la voiture « TOUT DE SUITE ! » Que peut-elle bien me vouloir ? Moi et mes sœurs n’aimons son auto que pour deux raisons. De une, n’ayant aucun coussins gonflables, on peux aller sur le siège à l’avant même si on est trop petite et de deux, on a le droit de ne pas s’attacher et sortir la tête par la fenêtre quand on roule vite, comme si on s’envolait librement dans le ciel. J’oublie mon mécontentement d’être debout de si bonne heure, le temps de réaliser que c’est MOI qu’elle a arrachée de son lit. Moi et moi seule. Réjouie, je m’installe à l’avant avec l’impression d’être spéciale.

J’attends que ma grand-mère démarre le moteur.

J’attends encore.

‘’Je ne reviendrai plus, c’est ça que je viens te dire. Ta mère ne sait même pas que je suis ici. Je voulais juste te voir une dernière fois. Passer du temps ensemble, si on veux.’’

Je ne comprends pas. On n’a jamais rien fait ensemble, rien que nous deux. Avec mes sœurs, oui, mais pour être honnête, je n’ai pas l’impression d’avoir tissé de liens avec elle. C’est une femme assez spéciale, de toute manière. Je lui demande quand même, piquée par la curiosité, pourquoi on ne se verra plus. La brume commence à partager son ciel avec quelques rayons timides.

‘’Dis-lui juste pas que je suis venue, o.k. ? Ça ne lui ferait peut-être pas plaisir.’’

Ah. Un début de réponse. Finalement ma mère et elle ne sont pas en aussi bons termes que je le croyais. C’est triste. J’veux dire, une maman, c’est essentiel dans la vie, en général. C’est l’idée qu’on nous vend en tout cas. Peut-être pas ce genre de maman-là, à bien y penser. J’essaie lamentablement d’engager la conversation.

‘’Et tu pars où ?’’

‘’Nulle part. C’est juste que je ne viendrai plus.’’

Oh …

Accrochées comme des griffes au volant, les mains de ma grand-mère me paraissent osseuses. Elle n’a jamais eu de jolis doigts de fille, ils sont toujours noueux et rugueux. En fait, rien chez elle n’est féminin. Toujours dans des projets de construction ou de démolition, couverte de poudre de plâtre, elle a des jambes maigres et deux gros genoux carrés. Elle n’a que des muscles sur les os, si je peux faire dévier la citation. Je la regarde longtemps, pour l’imprimer dans ma tête. On ne sait jamais, peut-être qu’elle va effectivement ne jamais revenir, peut-être qu’elle ne dit pas de conneries. Ça va faire bizarre de ne plus la voir. 

‘’Je vous ai toujours aimées, toi et tes sœurs.’’

Le dit-elle pour se convaincre elle-même ? Elle se tourne vers moi et son regard me glace. Mes sœurs et moi on sait depuis toujours qu’elle n’est pas une femme naturellement chaleureuse mais là, elle est glaciale, telle une reine de béton. Même son regard est creux. Droite et distante, elle me regarde à peine et semble regretter de m’avoir tiré hors du lit. Elle a dit ce qu’elle avait à dire, en fait. L’impact de ses mots sur moi est loin de l’intéresser. M’a-t-elle déjà vraiment vu t’elle que je suis ? Voit-elle nos points communs ? Si ça peux rassurer quelqu’un, elle ou moi,  j’ai hérité de ses cheveux. Ils sont épais et étrangement frisottés. Les siens virent d’un gris de vraie mamie. En ce moment, on a le même chignon mal arrangé. À cause de mon type de cheveux, il y a plein de coiffures que je n’aime pas me faire, parce qu’on dirait que j’ai des cheveux dégueux et fourchus et je préfère cacher cette partie de moi le mieux possible. Je les lisse souvent pour l’école. Mais bon, est-ce que ça la ferait sourire de savoir qu’on a des liens capillaires ? À voir sa face, pas vraiment. Surtout si c’est pour se faire dire que notre point en commun est mon plus gros complexe. Alors je me tais.

Aussi dure du corps que du cœur.

Je sens monter en moi une grande angoisse. Elle a fait partie de ma vie depuis ma naissance, je la connais depuis treize ans, elle n’a pas le droit de nous abandonner ! Malgré tout, malgré elle, je l’aime bien ma mamie. Je le lui dis en gardant mon regard rivé devant moi. J’ai le temps de reprendre ma respiration, de distinguer la porte de garage bleu-gris et même de bailler.

Silence.

Bon. J’aimerais l’entendre dire qu’elle m’aime aussi. Je voudrais lui crier quelle insensible elle a été si souvent, à quel point elle nous a fait peur dans ses réactions et pourquoi on se détends plus chez notre autre grand-mère. Une grand-mère devrait être une mamie, pas une maman qui gronde et qui juge. Mais j’ouvre finalement la portière, sors lentement et, sans écouter ma tristesse, rentre doucement à la maison. Elle ne m’a pas retenu et n’a pas attendu que je referme la porte d’entrée pour partir.

Voilà un geste qui ressemble bien plus à la grand-mère que je connais.